Aucun pays dans le monde n’a réussi à gagner la guerre contre les drogues : quelles conclusions en tirer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Opération anti-drogues à Dijon, le 28 mars 2024.
Opération anti-drogues à Dijon, le 28 mars 2024.
©ARNAUD FINISTRE / AFP

"Tsunami blanc"

Le Sénat publie une série de propositions chocs pour lutter contre le "Tsunami blanc" qui frappe aujourd'hui la France. Cette dernière n'est pas le seul pays à avoir du mal à faire face au trafic de drogue.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Michel Hamon

Michel Hamon

Michel Hamon est vice-président du comité scientifique de l'institut de recherche scientifique sur les boissons (Ireb) et membre de la commission "addictions" de l'Académie nationale de médecine.

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Atlantico : Le Sénat publie une série de propositions chocs pour lutter contre le "Tsunami blanc" qui frappe aujourd'hui la France. L'Hexagone, semble-t-il, n'est pas la seule nation à peiner à con­tenir les trafics de drogue sur son sol. The Economist, par exemple, expliquait récemment que la Grande-Bretagne avait perdu sa "guerre contre la drogue". S'agit-il vraiment d'une guerre perdue d'avance ? Peut-on vraiment dire, aujourd'hui, que nous avons tout essayé ?

Xavier Raufer : Félicitons d'abord les sénateurs de s'être attaqués à un problème (mondialement) grave et d'avoir publié ce riche rapport de plus de six-cents pages, dont les criminologues tireront à coup sûr profit. Mais aussi, constatons certains manques (j'y reviens plus bas) et étonnons-nous de propositions limite-farfelues : un DEA à la française ? La police anti-drogue d'un pays-continent (et pas nous) à 100% fédéral (et pas nous), service dont l'échec est abyssal ?

110 000 morts par an de surdose fatales et des cartels de la drogue contrôlant des pans en­tiers du territoire, jusqu'à la frontière canadienne ? Une dépénalisation du cannabis chaotique tournant au cauchemar ? Nulle guerre bien menée n'est fatalement perdue. Et s'il faut que les États-Unis nous servent à quelque chose, c'est de contre-exemple, pour ce qui touche aux stu­péfiants - de cela, les exemples abondent tant et si bien, qu'on peut en faire un volume en­tier. Que MM. les sénateurs s'informent là-dessus serait bien.

Et The Economist, alors ? Cette icone mondiale de l'anarchisme-libertarien-mondain prône la dépénalisation entière de toutes les drogues. Dans la Colombie britannique ca­nadienne et quelques États des États-Unis, des politiciens anars-antifa ont appliqué cette doc­trine bobo - pour refluer bien vite, devant une hécatombe surdoses fatales jonchant les rues et le ravage des centre-ville. Oui, comme référence, il y a mieux que The Economist.

Michel Hamon : Commençons par rappeler qu’il s’agit, à mon sens, d’un problème à la fois sociétal et clinique. L’addiction aux drogues (licites ou illicites) est une maladie, et la personne addicte est une personne malade qui doit bénéficier de tous les soins nécessaires. Cela fait des années, maintenant, que je participe aux travaux de l’Académie de médecine sur cette problématique  et je constate que le déficit majeur de la politique française, en matière de lutte contre la consommation de drogue, c’est l’extrême faiblesse des actions de prévention. C’est le fond du problème. Face à cela, certains estiment qu’il faudrait envisager la légalisation, du cannabis au moins, pour développer ces actions. C’est un sujet dont il est légitime de débattre, sans doute, mais une légalisation ne peut pas se faire dans des conditions qui n’ont pas été mûrement réfléchies et elle ne peut pas résulter d’une unique motivation économique. Or, souvent, l’objectif de ceux qui évoquent cet argument est financier.  Rappelons également le bilan que l’on peut dresser de la consommation de drogues légales : le tabac tue 75 000 personnes par an tandis que l’alcool en tue 41 000. C’est sans parler de tous les dégâts que ces deux substances peuvent engendrer sur le milieu social, familial, professionnel. Ce sont pourtant des drogues gérées, contrôlées, par l’Etat. Il apparaît évident que le contrôle qu’il exerce laisse considérablement à désirer.

Certaines nations ont opté pour la légalisation du cannabis, notamment. Force est de constater que le bilan global est plutôt mitigé : dans certains pays, on entend dire que la consommation est en baisse. Dans d’autres, au contraire, on constate des dégâts sur le plan clinique qui sont beaucoup plus considérables qu’avant la légalisation de ces produits. La question n’a donc pas de réponse simple, mais il apparaît clairement que l’élément clé, c’est la prévention. Or, nous ne pratiquons que beaucoup trop peu la prévention en France. Il ne suffit pas d’envoyer un gendarme parler pendant une ou deux heures par an à des écoliers pour faire de la prévention efficace, pour exposer clairement les risques, les problèmes inhérents à la consommation de drogue.  

Certains pays, notamment du nord de l’Europe, peuvent se targuer de résultats plutôt positifs. Je pense notamment à la Suède et à la Norvège, où la prévention commence généralement dès l’école primaire. Les élèves ont droit à plusieurs heures d’information dans le cadre de programmes hebdomadaires visant à développer leurs compétences psycho-sociales, pendant toute l’année scolaire. Dans ces conditions, il est plutôt normal d’assister à des résultats conséquents. Nous nous y essayons tout juste, en France, mais pas encore partout. Dans les régions où l’on opte pour ce mode de fonctionnement, nous observons effectivement une réduction de l’attrait pour l’alcool, le tabac ou le cannabis notamment chez les jeunes qui ont l’occasion de suivre les formations adaptées. Il est essentiel d’informer à propos des dégâts que produisent ces drogues, parce qu’en le faisant, on incite les consommateurs potentiels à réfléchir. Et cela entraîne une diminution globale de l’attrait de ces substances.

Il apparaît évident, également, que la répression seule ne fonctionne pas. Tout le monde en est aujourd’hui convaincu. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut passer de la répression à la libéralisation totale, ce serait idiot. Il faut donner dans la prévention, alerter sur les dangers inhérents de ces produits et pour ceux qui souhaitent tout de même consommer, poser des mesures de rétorsions. L’exemple suisse se doit d’être cité : il fonctionne sur la base de quatre piliers essentiels : la prévention, d’abord, la prise en charge (thérapie) ensuite, la réduction des risques et la répression enfin. C’est un modèle efficace, quand il est mené à bien, qui a fait ses preuves face à tout type de drogue.

Dans quelle mesure peut-on dire que la France appréhende correctement la situation ac­tuelle, au regard de la consommation de drogues et de la prégnance des trafics ? Faudrait-il peut-être changer de cadre intellectuel pour trouver une solution viable au problème auquel nous sommes confrontés ?

Xavier Raufer : Le rapport sénatorial contient maints éléments et témoignages passionnants, mais y manque l'essentiel, un DIAGNOSTIC précis et bref : le médecin n'a pas besoin de six-cents pages pour dire "c'est la grippe", ou le garagiste pour énoncer "c'est le carburateur". Notre seul problème de stupéfiants, c'est la présence en France de centaines de zones hors-contrôle, où les trafics se manigancent, se financent, s'opèrent ; d'où partent les livraisons de Ubershit et les tueurs allant éliminer un rival ; où abondent les supermarchés de la drogue, où les toxicomanes (non les "consommateurs") viennent acheter et où règnent les gangs (non les "réseaux").

Qui c'est ? Où ils sont ? Que font-ils ? Voilà le diagnostic à poser. Mais cela, nécessite d'appro­cher le réel criminel, de connaître la pratique des bandits - tout ce qu'il aurait fallu extraire des précieux témoignages des professionnels. Pour conclure sur ce point avec le bon Boileau (L'art poétique) "Ce que l'on conçoit bien s’énonceclairement, et les mots pour le dire arriventaisé­ment". Mieux que l'usage constant, dans ce rapport, que la "langue de coton" des post-Marie-Chantal du Monde ou de Libé.

Michel Hamon : Il nous faut, effectivement, changer de paradigme. Notre paradigme doit se construire en priorité autour de la prévention. Celle-ci doit concerner les consommateurs potentiels de tous âges mais, soyons clairs, c’est auprès des jeunes qu’elle est le plus efficace. N’oublions pas que le cerveau de nos jeunes têtes blondes est encore en plein développement et que c’est, dès lors, une véritable éponge. Quand les informations arrivent, elles sont imprimées dans le cerveau. Ça marque. C’est malheureusement beaucoup moins vrai au fur et à mesure que l’on prend de l’âge. Il devient beaucoup plus difficile d’apprendre. 

C’est pourquoi il vaut mieux intervenir à un âge précoce, quand on a toutes les chances d’obtenir les meilleurs résultats possibles. 

La priorité devrait donc être à la prévention mais, dans les faits, nous n’avons que trop peu de campagnes d’information, et de formations des enfants concernant les drogues, trop peu d’alertes sur les risques inhérents à ces produits. Au niveau national, il n’y a rien ou presque concernant le degré de danger de ces molécules. C’est vrai pour l’alcool et pour le tabac. Et cela se vérifie encore davantage concernant les produits illicites ! Prenons le cannabis, par exemple, qui peut être une catastrophe chez les adolescents. Un enfant ou un jeune adolescent qui en consommerait souffre alors de déficits majeurs d’attention, de capacités mnésiques et d’apprentissages qui peuvent nuire à la réussite scolaire et à son insertion socio-professionnelle. C’est bien le moment où il ne faut surtout pas prendre de cannabis, qui est bien connu pour altéer le développement normal du cerveau et des capacités cognitives

La situation est d’autant plus inquiétante que près d’un million de Français consomment régulièrement du cannabis en France. C’est un nombre qui tend à décroître, c’est vrai, mais il ne faut pas perdre de vue qu’en parallèle, la charge de THC dans le cannabis consommé décolle. A quantité d’herbe identique, le danger est donc plus élevé. En outre, la propension de gens déclarant consommer de la cocaïne, une substance très dangereuse, augmente de son côté. Ils sont certes beaucoup moins nombreux que les consommateurs réguliers de cannabis, mais la tendance doit nous inquiéter.

L'un des enjeux de ce débat, c'est le maintien d'un certain ordre public en France. Dans quelle mesure le trafic de drogue se nourrit-il de la corruption, entre autres ? Comment, dès lors, envisager la lutte contre les trafics et éviter la corruption de certains officiels ?

Xavier Raufer : D'abord, ce rappel : le crime est un phénomène social normal (Durkheim), même les Khmers rouges, même la Corée du nord, ne peuvent ou n'ont pu l'éradiquer. L'État de droit doit ra­me­ner le crime sous le seuil de l'insupportable, ce que M. Macron n'a pas fait depuis 2017. Mais surtout, contraindre les bandits à réduire la voilure, faire régner l'ordre public, empêcher la corruption, tient d'abord à la force, au sérieux de nos dirigeants - ce que la population (malfai­teurs inclus) perçoit d'eux et qui l'impressionne

Voyons maintenant les quatre cavaliers du régalien dans la France de 2024 : qui tremble quand M. Macron s'écrie qu'il va se fâcher ? Qui craint les algarades de M. Attal ? Qui s'épou­vante des promesses répressives d'un M. Dupond-Moretti, acclamé par des taulards et hué par ses magistrats ? Qui croit quoi que ce soit du serial-menteur Darmanin ? Les criminologues voient parfois des bandits. Ceux que je rencontre qualifient le précité quatuor de "bouffons" - je leur en laisse bien sûr la responsabilité.

Comment les addictions, par exemple, sont-elles prises en charge ?

Michel Hamon : La prise en charge, en France, est tout à fait insuffisante. Attardons-nous un instant, si vous le voulez bien, sur la consommation de crack. Fin 2022, aux alentours d’octobre, la police parisienne a organisé une opération d’ampleur à proximité de la Gare du Nord. Les consommateurs de crack locaux constituaient une nuisance importante pour le quartier et il y a donc eu une descente de police visant à les chasser. Beaucoup, cela va sans dire, sont partis ailleurs.

L’idée initiale était de leur proposer une prise en charge clinique. La plupart des consommateurs de crack, croyez-le, cherchent à se sortir de l’addiction. Finalement, cette dernière a été proposée à moins d’un individu sur deux. La descente de police a eu lieu, le nettoyage du quartier également. Mais les autorités n’ont rien proposé, ou presque, sur le plan clinique et c’est une partie essentielle du problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.

Permettez-moi également de parler des jeunes qui bénéficient de l’ASE, l’aide sociale à l’enfance : ils sont largués dès qu’ils atteignent l’âge de 18 ans et c’est chez eux que l’on trouve, en proportion relativement élevée – sinon la plus élevée – des consommateurs de cannabis et de cocaïne. Cela s’explique assez simplement : il n’y a pas de structure sociale qui permette de les accueillir, de les prendre en charge sur les plans social et sociétal, et ils se retrouvent donc perdus dans des environnements peuplés de pairs déjà consommateurs. C’est là que la consommation de drogue se diffuse le plus.

La France a-t-elle su identifier les causes de ces addictions ? Quelle réponse est-elle en mesure d'apporter aujourd'hui ?

Michel Hamon : Je dirais qu’il faudrait notamment regarder du côté des quartiers. Dans certains d’entre eux, il n’y a rien, le désengagement semble total. Sans boulot et dans la galère, d’aucuns se réfugient parfois dans la consommation de la drogue… ou optent pour le trafic. Il faut bien comprendre que dans beaucoup de cas de figure, le trafic est perçu comme de l’argent “facile”, si je puis me permettre. Le budget que représente le trafic de drogue est colossal et je pense que c’est quelque chose que l’Etat réalise bien. Quand il envisage la légalisation du cannabis, c’est aussi pour des raisons d’ordre économique.

Quid de la lutte contre les territoires perdus du trafic ou l'immigration clandestine notam­ment ?

Xavier Raufer : La France, depuis MM. Hollande et Macron, a vu le nombre de zones hors-contrôle exploser en France : une centaine sous M. Mitterrand, sept-cents sous M. Sarkozy, 1 300 "quartiers de la politique de la ville" fin 2023 ! Les pires, les quartiers-nord de Marseille par exemple, ont une criminalité (et non pas "délinquance") digne de l'Amérique latine.

Prouvons-le.

Marseille a ± 870 000 habitants. Population de ses quartier nord (13e, 14e, 15e et 16e arron­dissements) où en 2023 sont commis 44 des 49 homicides connus, envi­ron 250 000 habitants (légaux) recensés en janvier 2024. Taux d'homicides de la France entière (2023), 1,15/100 000. Taux des "quartiers nord" de Marseille, ± 17,5 homicides par 100 000 habitants ; entre le Brésil (± 19/100 000) et le Guatemala, ± 17/100 000.

Restaurer l'ordre public dans ces quartiers, en expulser les migrants clandestins, est la SEULE tâche qui vaille pour l'appareil sécuri­taire français. Cela résorbera les trafics de drogue, di­sons, à 80%. Les malfaiteurs allogènes iront exercer leurs néfastes talents sous des cieux plus laxistes. Voilà ce que les sénateurs auraient dû clairement énoncer, au lieu de tout diluer et noyer dans les six cent cinquante pages d'un rapport - de plus.

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