Alain Madelin : « Il n’y a malheureusement plus personne en Europe pour défendre ce vieux principe libéral du “laissez-nous faire” » <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Selon Alain Madelin, aucun candidat français se présentant aux élections européennes n'est libéral - Photo AFP
Selon Alain Madelin, aucun candidat français se présentant aux élections européennes n'est libéral - Photo AFP
©LIONEL BONAVENTURE / AFP POOL / AFP

Libéralisme en perdition

Les élections européennes à venir constituent un choix complexe pour les électeurs libéraux. Alain Madelin, libéral historique et ancien ministre, fait part de son éclairage sur la question.

Alain Madelin

Alain Madelin

Alain Madelin a été député, Ministre de l'Economie et des Finances et président du Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, avant d'intégrer l'UMP.

Il est l'auteur de Faut-il supprimer la carte scolaire ? (avec Gérard Aschieri, Magnard, 2009).

Voir la bio »

Atlantico : Les élections européennes approchent à grand pas. Plusieurs listes s’y présentent, parmi lesquelles celles de Valérie Hayer, celle de François-Xavier Bellamy. Qui, parmi les candidats, fait figure de héraut du libéralisme ? Peut-on dire qu’il s’agit d’une mouvance politique bien représentée ?

Alain Madelin : Aucun des candidats ne fait figure de héraut du libéralisme, pour autant qu'il puisse exister des hérauts du libéralisme. Il suffit de lire leur programme ou d’observer ce qu'ils ont fait au Parlement européen pour constater que les candidats sont bien loin d'une vision libérale de la société. L’un des exemples concrets concerne les normes en vigueur sur les œufs. Il y a des dizaines de réglementations auxquelles doivent répondre les œufs. Ces normes sont liées à l'accumulation de réglementations nationales et à beaucoup de réglementations européennes. Les candidats ne prennent pas de réelles décisions contre l’accumulation de telles réglementations. Tout le monde est capable de dénoncer ces normes mais concrètement les candidats aux élections européennes ne proposent pas réellement de solutions face à cette situation. Ils ne font pas le choix de freiner cette accumulation de normes. Ceux qui disent que certains veulent créer une super Europe, un Etat super européen, n'ont pas tort. Mais les remèdes ne sont pas les bons. Il faut transformer l'Europe, donner un pouvoir à l’Europe sur ce qui est absolument nécessaire, sur ce que les Etats membres ne peuvent pas faire par eux-mêmes.

L’Europe devrait accorder plus de liberté dans les domaines que les pays membres pourraient régler par eux-mêmes. Dans le Code civil, il existe un principe de responsabilité, via les articles 1382 à 1384, qui fait que chacun est responsable. Si quelqu'un dérape, il est possible de condamner fermement les responsables. Ainsi, la jurisprudence s'adapte à la réalité et force les gens à être responsables. Cela ne conduit pas comme la réglementation européenne à considérer le citoyen français et tout citoyen d'un pays européen comme un incapable qu'il faudrait par principe guider via des réglementations toujours plus nombreuses. Il n'y a pas de candidat libéral qui répond à ces enjeux.

De mon point de vue, être libéral au niveau de l'Europe, c'est revivifier le principe de subsidiarité dans tous les domaines. Le principe de subsidiarité a été « inscrit » dans la Constitution européenne mais sans la moindre garantie ou sans garde-fou. La moindre des choses pour un libéral est de redéfinir dorénavant comment le principe de subsidiarité sera appliqué et quels seront les domaines qui seront attribués à l'Europe en plus et quelles seront les prérogatives qui seront retirées à l'Europe. « Laissez-nous faire » est un vieux principe libéral.

A quoi ressemblerait un programme libéral pour les élections européennes ?

L'enjeu de l'Europe aujourd’hui est un enjeu essentiel de politique extérieure. Les pays européens, les démocraties européennes et plus généralement la démocratie, sont attaqués de l'extérieur. Un vote libéral devrait, à mes yeux, être orienté par la mesure de cet enjeu. Il faudrait juger les candidats en fonction de cela. Le candidat aux européennes le plus conscient de cet enjeu est Raphaël Glucksmann mais, sur le plan politique et économique, je comprends qu'il puisse inquiéter. La liste de la majorité présidentielle avec Valérie Hayer répond aussi à cet enjeu de la nécessité de résister et de lutter face à ceux qui veulent attaquer la démocratie. Cette liste peut aussi séduire le vote libéral sur ce point. La liste des Républicains incarne aussi une aspiration libérale, sous bénéfice d'inventaire.

Le manque de représentation de l’idéologie libérale signifie-t-il que, au regard des électeurs libéraux, tous les candidats devraient se valoir ? Les têtes de listes sont-elles toutes aussi opposées au libéralisme les unes que les autres ?

Si j'enlève cet enjeu primordial qui, à mes yeux, doit être la priorité pour tout vote, je n'ai pas vu de candidat ou de programme un tant soit peu libéral. Les candidats pour l’élection européenne rivalisent en mesures de protection et en mesures d'intervention. Ils dessinent une Europe que je ne souhaite pas.

Est-ce que les candidats sont tous aussi étatistes les uns que les autres ou y a-t-il différents degrés et nuances entre eux ?

Des nuances existent sur certains sujets. Mais ils partagent tous l’idée d’une taxe carbone aux frontières face au protectionnisme qui est difficile à mettre en œuvre et susceptible de rétorsion. Nous sommes entrés dans l'ère du principe de précaution. Le droit a été dénaturé. Le droit est le principe d'une liberté responsable. Dans la Constitution française, l'idée d'une liberté présumée coupable a été introduite en priant le juge constitutionnel de s'arranger avec deux principes contradictoires et en construisant des réglementations protectionnistes sur tout et de plus en plus sophistiquées.

Ces élections européennes sont-elles celles de la victoire du protectionnisme à certains égards ?

La victoire du protectionnisme est déjà inscrite dans les têtes en dehors de cette élection. Il n'y a plus beaucoup de candidats libres échangistes en France. Cela est dommageable car le libre-échange est une belle cause à défendre. Autrefois, dans les manuels scolaires à l'école primaire, le libre-échange apparaissait dans les leçons de morale, pas dans les leçons d'économie, parce qu'il montrait la solidarité des hommes qui ne se connaissaient pas mais qui tous coopéraient par l'échange.

Il y a des mesures de protection qui sont prises à l’heure actuelle. Dans le cadre du débat sur le cloud européen, les données sont une richesse essentielle. Il faut veiller à ce qu'elles ne tombent pas entre les mains de gens qui ne seraient pas éventuellement démocrates. Un cloud européen est donc utile. Il faut également lutter aussi pour notre sécurité numérique. Il serait urgent également d’aider les producteurs de puces européens qui dépendent des machines de production.

Pour l’industrie pharmaceutique, le médicament est par nature quelque chose qui doit obéir au libre-échange. Or, personne n’est en mesure de fabriquer tous les médicaments, même pas les Européens. S'il y a une innovation médicale qui nous permet de guérir une maladie spécifique, il faut en faire aussitôt bénéficier l'humanité. Si cette invention médicale se fait dans un autre pays, il faut ouvrir les frontières.

Il est important d’avoir une industrie pharmaceutique forte. Mais il faut réfléchir sur les raisons qui doivent guider les politiques à mener. Cette industrie doit être forte sur son marché intérieur pour la France, et sur le marché européen pour les autres Etats membres. Or, pour le cas français, du fait des systèmes de sécurité sociale, l'Etat passe directement commande en réalité et utilise la commande publique pour faire tourner l’activité de l'industrie pharmaceutique au lieu d’encourager l'industrie pharmaceutique à être plus innovante. Nous avons fait tout l'inverse depuis des années. Le libre-échange n'est plus au cœur des discussions aujourd'hui. La protection l'emporte. Il y a des intérêts protectionnistes derrière.

Pour un électeur libéral attaché à ses principes, qui serait le choix du “moins pire”, compte tenu des candidatures actuelles ?

Chaque électeur est libre de son choix. Je vous ai indiqué ce qui me paraissait être aujourd'hui le choix prioritaire. Les autres choix sont relativement secondaires. Nous sommes en guerre non pas parce que nous avons déclaré la guerre. Nous sommes en guerre parce que plusieurs États totalitaires aujourd'hui nous ont déclaré la guerre. Nous avons historiquement un devoir de résistance. Cet enjeu historique passe pour moi avant le libéralisme.

Comment permettre une meilleure représentation du libéralisme dans les scrutins à venir ?

Cela pose un vrai problème. Le libéralisme est sous-représenté dans la vie politique française. Les efforts de David Lisnard doivent être salués. Il faut reconstruire un vrai courant libéral. Nos démocraties sont menacées. Elles sont menacées de l'extérieur, mais elles ont aussi été minées de l'intérieur. Nous avons vécu des années de déconstruction de nos démocraties libérales. Nous en voyons les effets aujourd'hui. Donc une reconstruction morale doit être menée afin de regagner une confiance dans la démocratie libérale. Cela n'est pas simple car les déconstructeurs s'appuient sur une réalité depuis des années, celle de l'impuissance publique. Les gouvernements ont tendance à retarder leurs projets, à ne pas faire les réformes nécessaires dans de nombreux domaines, à délaisser certains thèmes majeurs comme l'immigration, la sécurité, l’éducation malgré les efforts récents et contradictoires. Tout ceci engendre un sentiment d'impuissance publique et le sentiment d'impuissance publique nourrit les ennemis de la démocratie. La situation appelle donc à la mise en place d’un véritable programme libéral, un programme de réarmement de la puissance publique par la confiance dans les libertés. Nous en sommes loin. Cela sera au cœur des préoccupations lors de l'élection présidentielle.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !