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Un soldat rebelle pose avec son arme à Touch Riak, au Soudan, dans le comté de Leer, où la famine est déclarée depuis février 2017.
Un soldat rebelle pose avec son arme à Touch Riak, au Soudan, dans le comté de Leer, où la famine est déclarée depuis février 2017.
©STEFANIE GLINSKI / AFP

Géopolitico Scanner

Au Soudan, après près d'un an de conflit entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide du général Mohammed Hamdane Daglo, l’insécurité alimentaire touche 18 millions de personnes avec le niveau de faim le plus grave jamais enregistré dans le pays, selon l'ONU. Une conférence de donateurs s'est engagée à fournir plus de deux milliards d'euros en aide humanitaire pour secourir des millions de Soudanais menacés par la guerre et la famine.

Marc Lavergne

Marc Lavergne

Spécialiste de l'Afrique et de l'action humanitaire, membre du GREMMO, groupe de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.

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Atlantico : Quelle est la situation et la réalité au Soudan concernant la crise des réfugiés et sur les craintes de famine ? La communauté internationale peut-elle agir ?

Marc Lavergne : Dans le prolongement de la conférence qui s'est tenue à Paris ces derniers jours, une somme conséquente sera allouée à l'aide humanitaire pour les réfugiés et déplacés au Soudan. La situation est catastrophique.

Une transition démocratique a débuté en 2019, qui devait durer 2 à 3 ans, avec un partage du pouvoir entre l'armée et un gouvernement civil. Cependant, par la suite, l'armée a tenté de reprendre le contrôle, se trouvant confrontée non seulement aux acteurs de la Révolution, abandonnés par les pays occidentaux, mais aussi à ses supplétifs qui ne sont pas des rebelles.

Il ne s'agit pas d'une guerre civile car le peuple soudanais, les civils, ne sont pas impliqués. Ils sont les victimes de ce conflit opposant deux forces armées complices, unies pour renverser l'ancien dictateur Omar el-Bechir, en place depuis 30 ans avec son parti politique et un soutien islamiste. Ainsi, les deux piliers de ce régime ont été renversés en apparence pour éviter qu'Omar el-Bechir ne soit jugé par la Cour pénale internationale. 

L'"armée régulière" a cherché à intégrer les forces de soutien rapide, également appelées rebelles mais en réalité des supplétifs et collaborateurs. Ils accomplissent des tâches que l'armée ne peut pas effectuer dans les régions périphériques où elle a peu d'accès. Ces soutiens sont devenus plus puissants que l'armée car ils disposent de leurs propres ressources, notamment en s'engageant comme mercenaires dans des conflits tels que celui du Yémen ou de la Libye.

Le Soudan est un pays riche en or. Les orpailleurs sont contrôlés et taxés par ces forces de soutien rapide qui, par conséquent, ne souhaitent pas intégrer l'armée malgré les propositions, car elles aspirent au pouvoir pour exploiter les ressources agricoles et minières du Soudan, et non pour gérer l'État. L'armée soudanaise ressemble à celle de l'Égypte, un corps qui possède l'État plutôt qu'un État qui possède une armée, comme on le dit aussi du Pakistan. Elle a l'habitude de puiser les trois quarts du budget national pour ses propres besoins.

Cependant, ces ressources se tarissent depuis l'indépendance du Sud Soudan, qui détenait les réserves de pétrole. Il existe donc une compétition entre ces deux forces armées pour s'approprier les richesses du pays. L'armée représente essentiellement la vallée du Nil, le centre historique du pays, et considère légitime de diriger tout le Soudan en raison de son arabisation, islamisation et de ses liens avec les tribus et les paysans de la vallée du Nil. Elle doit maintenant faire face au soulèvement des provinces périphériques, longtemps marginalisées et négligées par le pouvoir central, notamment le Darfour.

Le Darfour était autrefois un sultanat, presque jusqu'au XXe siècle, mais est aujourd'hui une région déshéritée où se trouvent des nomades au nord et des cultivateurs plus au sud, dans la steppe et la savane. Avec la paupérisation des nomades et la désertification due au réchauffement climatique, ces derniers cherchent à s'approprier les terres des cultivateurs, entraînant ainsi la première crise du Darfour il y a environ 20 ans. Les principales victimes de ce conflit sont les peuples cultivateurs, qui fuient vers le Tchad sous le regard bienveillant de l'armée française stationnée à Abéché et à Abré, dans l'est du Tchad, depuis longtemps pour protéger la dynastie des Déby, mais qui n'intervient pas pour arrêter ces massacres, pourtant atroces. Des images montrent même des enterrements au bulldozer de personnes encore vivantes, des atrocités jamais vues ailleurs.

Comment expliquer le fait que le Soudan soit devenu le premier pays en termes de réfugiés internes suite à cette guerre ?

Cette situation est directement liée au conflit bien sûr. Mais il faut aussi prendre en compte le fait que le Soudan a toujours été un refuge pour les populations fuyant les troubles des pays voisins. Depuis 30 ou 40 ans, le Soudan a accueilli des Éthiopiens, des habitants du Tigré, des Érythréens, des Congolais, et même parfois des Ougandais. Je me rappelle d'avoir visité des camps de réfugiés ougandais dans le sud du Soudan en 1983.

Le Soudan a également été un lieu d'accueil pour les réfugiés tchadiens. Les frontières sont souvent artificielles et divisent des peuples en deux. Pour ceux qui les franchissent, devenir réfugié ne représente pas une rupture totale.

Il existe des villes, comme au Darfour, qui sont situées à cheval sur la frontière, la divisant en deux parties distinctes.

Aujourd’hui, il y a ce risque imminent de famine. Quelle est son ampleur ? La situation serait désastreuse, selon Michael Dunford du Programme alimentaire mondial des Nations unies. Pourtant, peut-on espérer un changement avec ce don annoncé le 15 avril par l’ONU ou la situation est-elle trop critique ? 

Ces promesses d'aide humanitaire sont une manière de se dédouaner. Ce virage vers l'humanitaire révèle surtout une volonté de ne pas agir sur le plan politique, de ne pas intervenir pour mettre fin à ce conflit fratricide entre deux groupes armés.

Cela représente davantage un aveu d'impuissance qu'autre chose. Les puissances occidentales se déchargent aisni de leurs responsabilités. Quelques centaines de millions d'euros de dons et d'aide, cela est peu comparé à d'autres types de dépenses, notamment sur le plan de la défense et au regard du soutien à Kiev. Je ne juge pas la valeur de ces choix mais cela se situe à une toute autre échelle. Les dons aux victimes du conflit au Soudan sont vraiment insignifiants en comparaison.

Peut-on espérer une amélioration de la situation au Soudan en cas de cessez-le-feu ? Ou est-ce un espoir vain ?

Le problème est structurel. Il ne s'agit pas simplement d'une question de cessez-le-feu, mais plutôt de parvenir à instaurer un Soudan que les Soudanais aspirent à voir. Un Soudan où chacun aurait les mêmes droits, indépendamment de sa religion ou de son origine. En somme, quelque chose de très similaire au modèle républicain de la France, laïque et égalitaire. Les États-Unis ont favorisé la séparation entre le Nord et le Sud du Soudan, mais au final, nous avons deux Soudans au lieu d'un.

Cependant, le problème persiste également au Sud, ne faisant que reproduire celui du Nord, lié à la gouvernance de l'État et à la nécessité de restaurer un État impartial. Le Soudan est un pays riche en ressources, avec le Nil qui le traverse, offrant des opportunités agricoles et des gisements minéraux. Même le Darfour, malgré sa situation actuelle, est une région potentiellement riche, grâce à son relief montagneux qui favorise les précipitations estivales.

Le problème est donc plus saisonnier. En l'absence de semis à temps, les récoltes seront compromises, nécessitant une assistance alimentaire immédiate.  

Le fait que cette crise ne soit plus évoquée par personne et que la situation au Soudan ne soit plus au coeur des préoccupations de la communauté internationale posent-ils un problème pour l'avenir de la région ? 

Cela reflète davantage un problème au sein de nos sociétés occidentales et sur leur désintérêt croissant pour les affaires mondiales. La crise au Soudan s'inscrit dans le cadre plus large de la crise au Sahel. Il est crucial de reconnaître que cette négligence pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'avenir de la région.

Il s'agissait d'une opportunité pour des pays comme la France, déjà sous le feu des critiques pour ses actions en Afrique, de démontrer que sa présence militaire pouvait être mise au service de l'humanitaire, en fournissant une assistance alimentaire. Il n'était pas nécessaire d'attendre une conférence à Paris pour des décisions qui relèvent du quotidien de professionnels aguerris. J'ai assisté à des réunions préparatoires avec des experts en livraison d'aide alimentaire.

En 2005, j'ai même été impliqué pour le Conseil de sécurité de l'ONU. Nous avons utilisé des camions du Programme alimentaire mondial pour distribuer l'aide, une solution efficace à court terme mais n'apportant pas de solution durable. La France aurait pu, sans attendre l'aval de quiconque, utiliser ses ressources militaires présente au Tchad pour fournir de l'aide humanitaire, sécuriser les frontières et potentiellement réprimer les groupes armés qui oppriment les populations locales.

Je me souviens d'un voyage au Darfour en 1985 à bord d'un Transall de l'armée française, apportant 8 tonnes d'huile à Al-Fashir, la capitale du Darfour. Cela m'a permis de mieux comprendre la situation sur le terrain.

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