Cirque médiatique
Élucidation des crimes : le bilan-catastrophe
Depuis un an et plus, les criminologues alertent sur les mauvais résultats du ministère de l'Intérieur et dénoncent le cinéma médiatique du ministre pour le camoufler.
Xavier Raufer
Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date: La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers.
Comme tous les professionnels et experts sérieux, les criminologues parlent sans intention ultérieure ; ils diagnostiquent la vérité du moment, présent ou à venir : ce qu'ils établissent, ils peuvent bien sûr le démontrer. D'usage d'ailleurs, il n'est pas nécessaire d'attendre bien longtemps pour qu'un diagnostic bien étayé ne soit avéré.
Depuis un an et plus, nous alertons sur les mauvais résultats du ministère de l'Intérieur et dénonçons le cinéma médiatique du ministre pour le camoufler. À ce propos, un tuyau pour les journalistes curieux d'anticiper les tendances criminelles : en temps normal, ce ministre occupe tout l'espace médiatique ; il tempête... annonce... exige... ordonne...déclare que sur ses instructions, ceci et cela. Disparaît il ? Devient-il muet ? De mauvaises nouvelles arrivent, impossibles à cacher. Le ministre s'esbigne alors, laissant quelque bureaucrate ou préfet annoncer seul la pénible nouvelle.
Or celle qui vient de tomber est exécrable, s'agissant du taux d'élucidation des infractions majeures ; celles qui effraient les Français, empoisonnent leur vie ; et l'ensemble couvre en fait le plus clair des années-Macron (2017-2022), établissant que, sur douze indicateurs-clés, dix baissent alors qu'ils devraient monter si l'Intérieur travaillait bien :
- 16% d'homicides en plus, et leur taux d'élucidation dévisse de 81% à 69% (moins 12%). Parlons clair : en 2017, au bout d'un an, on avait arrêté plus de 8 assassins sur dix ; fin 2022, on en est à moins de sept.
- Quoi de pire que d'être rossé, voire lynché, par un inconnu ; parfois sans motif ; dans la rue, au sortir du travail ou de l'école ? Ces "Coups et blessures volontaires" hors famille ont bondi de + 23% dans les années-Macron ; ils étaient élucidés à 63% en 2017 ; ça baisse à 54% fin 2022, (moins 9%).
Se fait-on seulement voler ("Vol sans violence"), cambrioler son logement ou piller sa voiture ? Le taux d'élucidation de ces infractions baisse encore de 1% en 2022, et sombre à 7%. Décodeur : le cambrioleur ou pillard a 93/100 chances de s'en tirer indemne. Plus ce chiffre, sur les vols de voitures : + 16% sur 2021-2023 (deux ans) ; 384 vols de véhicules (y compris les deux-roues) par jour, 16 par heure... Mais les vélos ? Pour les associations de cyclistes, on en est à un vol par minute en France, toute l'année...
Ça va moins mal côté "coups et blessures dans le cadre familial", positive l'anonyme émissaire d'un ministère de l'Intérieur qui fâcheusement, se moque du monde sur des sujets sérieux : une femme rossée par son époux, un enfant par son père - faut-il vraiment Sherlock Holmes pour trouver le coupable, souvent, dans la même pièce ?
Comme déjà affirmé ici, la France dispose sans doute des forces de l'ordre les plus efficaces d'Europe ; mais mal financées et mal dirigées. On sait par exemple qu'à l'inverse de la criminalité en col blanc (fraudes, etc.) ou les atteintes à l'environnement, les infractions dites "de voie publique" (celles décrites ci-dessus, et bien d'autres), sont souvent le fait d'étrangers - qu'il faut donc vite renvoyer chez eux, avant qu'ils ne réitèrent.
Or en France, sous les années-Macron, l'exécution des "Obligations de quitter le territoire français" s'effondre. 14,3% des malfaiteurs étrangers étaient expulsés en 2016 - 6,9% en 2023. (Europe, taux moyen de ces expulsions, ± 30%) ; Allemagne, jusqu'à 55%. Que peuvent faire nos policiers et gendarmes, submergés par de toujours plus nombreux bandits allogènes ?
Devant ce désastre, l'Intérieur fait du cinéma : vain pilonnage de supermarchés de la drogue... Actions "Place Nette" baptisées "Opérations pichenettes" par de taquins policiers de terrain. Des magistrats spécialisés de Lille, évoquent ces barnums hypermédiatisés : "Cela ne donne rien... On ne fait que sauter sur de petits dealers... les procédures ne sont, ni faites, ni à faire et il n'y a quasiment pas de déferrements... Un syndicat de magistrats du même ressort de justice : "Nul dossier lié à Place Nette n'est arrivé au juge des libertés et des détentions." - et ce serait le cas, si des détentions étaient décidées.
Devant le rôle ingrat qu'on lui fait jouer - cinéma futile d'abord, puis discrédit du fait d'inévitables mauvais chiffres - la base commence à renâcler ; même, "à voter avec ses pieds". Police nationale (2022, derniers chiffres disponibles), près de 11 000 démissions (+ 33% sur quatre ans) ; gendarmerie nationale, environ 15 000 (+ 25%).
Et la justice, là-dedans ? Elle agonise. Dans l'Aisne, la semaine passée, trois Géorgiens venus (de 4 400 km.) piller la France, volent des centaines d'euros de produits d'hygiène. Le patron du supermarché les voit. Les gendarmes les traquent jusqu'au parking d'une autre grande surface, les fouillent, trouvent le butin ; mais, dit le journal local - un peu sidéré, quand même - " Ils ne sont pas poursuivis, car les produits ont été retrouvés et restitués". Allez-y les gars ; c'est la tournée de M. Dupond-Moretti.
Viendra cependant un temps où le réel criminel éclatera au grand jour ; où mentir, tout lâcher en douce, deviendra impossible. Alors, viendra le moment du bilan, avant de repartir du bon pied. Alors, ceux qui ont provoqué le désastre devront des explications.
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